Charles avait bien compris cette première leçon
sur la vie. Après ce court entretien avec le philosophe,
il avait repris la route. Il s'arrêtait souvent près
de la mer pour contempler l'horizon. Il coucha dans les petits
villages provençaux mais sentit que l'atmosphère
et la vie changeait au fur et à mesure qu'il avançait
vers son but. Ça sentait l'Espagne, lui disait-on souvent,
lorsqu'il interrogeait ses hôtes à ce sujet. Il voulait
bien les croire, mais ajoutait que sa sentait aussi l'Italie.
En effet, les italiens qui le suivaient depuis son départ
le rattrapèrent facilement grâce à toutes
ses pauses et à ses arrêts. Des dizaines d'italiens,
en petits groupes le dépassaient. Cela l'amusait de voir
ces gens avancer avec leurs ânes, leurs carrioles et leurs
habits sobres et colorés. Les vieux conduisaient les carrioles,
les enfants étaient assis sur les ânes et les adultes
et jeunes adultes marchaient en se parlant et en surveillant les
deux ou trois chèvres ou moutons qu'ils emmenaient avec
eux sur la route.
Charles marchait souvent à côté d'eux et cela
lui apportait une grande joie. Il écoutait leur langage
musical, observait leur cortège et admirait la mer qui
scintillait auprès d'eux. Il aurait tant voulu être
invité à leur veillées, mais, il était
arrivé à Toulouse et le comte de Toulouse, Sire
Guillemet de Toulouse, faisait un festin (dont le but ou la raison
était inconnus à Charles) et où touts les
pèlerins était invité à s'y joindre.
Charles trouva un logis chez des paysans qui lui laissèrent
le grenier à foin au-dessus de l'étable. Il brossa
ses habits et se lava le visage et les mains dans l'abreuvoir
avec une savonnette.
Le soir, il se rendit à la cour du comte qui avait invité
troubadours, saltimbanques et comédiens. Les tables était
servies et chacun mangeait à sa faim. Après le dîner,
pucelles damoiselles et dames vinrent chercher la compagnie des
prud'hommes et des courtois. Charles remarqua alors immédiatement
une pucelle d'une beauté extraordinaire. Elle semblait
seule, perdue, confuse et oubliée. Charles s'assit près
de cette belle créature et lui parla d'aventures, de rêves
et d'expéditions. La jeune femme sourit au regard de ce
bel homme qui cherchait à la faire rire et, osait la séduire.
Ils s'écoutaient avec une telle qu'ils n'aperçurent
même pas les quelques figures imposantes masculines se rapprocher
d'eux. Charles contait ses mésaventures à Montpellier
lorsqu'une voix puissante l'interrompit :
« Vraiment ? ça doit être pour ça qu'il
est si tordu ! » riaient les autres. La jeune fille tourna
la tête en se mordant les lèvres et en se tournant
les mains. Charles fit face à son interlocuteur et le dévisagea.
L'homme était grand et musclé. Son visage était
fort et droit. Il portait une barbe et un habit de coton vert.
Il avait une lourde cape d'hermine qui montrait son poste important
dans la société. Un chevalier ? Ou peut-être
même, un seigneur ?
« Monsieur, vous dérangez ma conversation avec ma
jeune amie ! » dit Charles offensé et avec grand
courage.
« Avec ma femme ! », tonna l'homme enragé.
« Sire D'Elbeuf, je sais que c'est votre jour de noce et
que vous ètes offensé par lr comportement de ma
fille, mais, s'il vous plaît, ne faites point de scandale.
», dit la voix tremblante du comte. Ceci expliqua à
Charles la grande erreur qu'il avait commise. Le sire D'Elbeuf
arrangea sa cape et leva la tète, puis dit au comte :
« Je ne ferais point de scandale, calmez-vous ! ».
La foule rassurée se dispersa. Seul Sire D'Elbeuf resta
en compagnie de quatre autres hommes. Il leur murmura quelque
chose à l'oreille et partit rejoindre sa femme, encore
une fois attristée, et son beau-père.
Les quatre hommes sourirent cruellement et deux d'entre eux lui
prirent les mains et les lui plaquèrent dans le dos. Ils
l'emmenèrent hors du château jusqu'à une mare.
A ce moment-là, les deux autres hommes le poussèrent
sur le sol et lui prirent les pieds. À quatre, ils le jetèrent
dans l'eau opaque et froide de la mare. Alors que Charles se relevait,
il vit les quatre hommes s'éloigner en riant vers le château.
Charles s'éloigna dans la nuit, les yeux rouges, les oreilles
bourdonnantes vers un lieu qu'il ne connaissait pas. Il n'avait
aucun sens de l'orientation mais, il avançait les pieds
engourdis par le froid pour oublier ce qu'il était devenu,
la risée et l'objet de moquerie du sud de la France.